Je suis allé en Thaïlande pour préparer un combat de muay thai.
Le documentaire étant encore en cours de réalisation, je vous partagerai le récit de cette aventure dans une prochaine édition. D’ici là, je voulais vous raconter comment j’en suis arrivé à prendre une telle décision.
C’est en étudiant la vie d’un homme que naquît en moi un désir ardent de devenir plus fort. Cet homme, c’est Miyamoto Musashi. Il est considéré comme l’un des plus grands escrimeurs de l’histoire.
Sa vie est fascinante.
Sommaire
L’ère d’Edo
La voie de l’épée
Le flow
L’artiste vagabond
Le vide
Le Dokkōdō
Conclusion
Temps de lecture estimé : 11 min
L’ère d’Edo
Miyamoto Musashi vécu à l’ère d’Edo. Deux éléments marquèrent cette époque.
1. L’unification du Japon
L’histoire japonaise est digne du scénario de Game of Thrones.
Pendant longtemps, le Japon fût une île instable où s’enchaînaient les conflits et les trahisons. Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande la série Netflix Age of Samurai: Battle for Japan.
Après la bataille décisive de Sekigahara en 1600, opposant le clan Toyotomi (loosers) à celui des Tokugawa (winners), le Japon se retrouva unifié et entra dans une stabilité relative pendant près de trois siècles.
De nombreux guerriers se retrouvèrent au chômage technique. Certains qui n’avaient vécus que par l’épée cherchèrent un nouveau sens martial à leur vie, notamment à travers les arts.
Musashi fût l’un d’entre eux.
2. L’avènement des armes à feu
C’est entre le XVIème et XVIIème siècle que les armes à feu prirent le contrôle des champs de bataille au Japon.
Le combat au corps à corps, perdant de sa pertinence militaire, se transforma progressivement en arts martiaux, enveloppant désormais un caractère philosophique.
Le katana n’était plus seulement un outil pour tuer, mais également l’instrument de la maîtrise intérieure de soi.
La voie de l’épée, c’est la quête que poursuivit Musashi.
« Si vous souhaitez contrôler les autres, vous devez d'abord vous contrôler. »
Miyamoto Musashi
La voie de l’épée
Être fort. Qu’est-ce que cela signifie ?
Musashi passa sa vie à essayer de répondre à cette question.
Son premier combat officiel fut contre Arima Kihei. Alors que ce guerrier de l'école d'escrime Shintō visitait la province de Harima, il installa une clôture en bambou sur un terrain vacant longeant la rivière Soho. Kihei afficha un avis disant qu'il se tenait disponible pour quiconque souhaiterait s'engager avec lui dans un duel. Musashi poussa la clôture, engagea le combat, et le tua. Il n’avait alors que 13 ans.
À 16 ans, certaines sources rapportent qu’il aurait combattu à Sekigahara. Après plus amples recherches, il semblerait que, à cette période, Musashi fût plus loin au sud sur l'île de Kyushu, participant au siège du château de Tomiku au nom de Kuroda Yoshitaka, le seigneur de son père.
Plus tard, il participa à d’autres batailles comme le siège du château d’Osaka ou la rébellion de Shimabara.
La légende raconte qu’il défia et anéantit seul la célèbre école d'escrime Yoshioka. Bien que des duels eu réellement lieu, notamment contre Yoshioka Seijūrō Naotsuna et Yoshioka Denshichirō Naoshige, le mythique affrontement à 1 vs 79 qui aurait pris place aux pieds du pin parasol au temple d'Ichijō-ji de Kyoto est en réalité une déformation liée au roman éponyme publiée par Eiji Yoshikawa entre 1935 et 1939.
Lorsqu’il eu atteint mon âge (bientôt 29 ans), il avait déjà mis sa vie en jeu dans une soixantaine de duels qu’il remporta tous. Si ses adversaires se présentaient avec de vrais sabres, lui se battait la plupart du temps avec des bokkens (sabres en bois).
Le plus célèbre de ses duels fût probablement contre son rival Sasaki Kojirō. Tous deux étaient reconnus comme parmi les meilleurs bretteurs du Japon. Chacun mesurait près d’1m80 ce qui est incroyablement grand pour l’époque où la taille moyenne des hommes était plutôt autour d’1m60.
Le duel pris place sur les rives de l’île Ganryū. Il existe bien des versions de ce duel. Toutes s’accordent sur un point : Miyamoto l’emporta, mettant fin à la vie de Sasaki.
Être fort. Et si la réponse était ailleurs ?
« La seule raison pour laquelle un guerrier est en vie est de se battre, et la seule raison pour laquelle un guerrier se bat est de gagner. »
Miyamoto Musashi
Le flow
Être fort. Serait-ce de n’être qu’un en pensée et en action ?
Je suis très inspiré par Bruce Lee et son Jeet Kune Do, sa philosophie de vie qu’il déclina en art martial. Sur son emblème, on peut y lire “N'utiliser aucune méthode comme méthode” et “N'avoir aucune limite pour limite”.
Bruce Lee était en quête du chemin le plus efficace vers la victoire. C’est pour cela qu’il étudiait les différents arts martiaux en absorbant ce qui lui paraissait utile, rejetant ce qui ne l’était pas, et ajoutant ce qui lui était propre.
Tel est le mantra du Jeet Kune Do.
Après des années à parfaire son art, il arriva à cette simple et célèbre conclusion : “Be water, my friend”.
« Empty your mind. Be formless, shapeless, like water. You put water into a cup, it becomes the cup. You put water into a bottle, it becomes the bottle. You put it into a teapot, it becomes the teapot. Now water can flow or it can crash. Be water, my friend. »
Bruce Lee
Je ne peux pas m’empêcher de penser Bruce Lee comme étant l’héritier de Musashi.
Dans son Livre des cinq anneaux, Miyamoto décrivait 330 ans plus tôt le concept de flow. Il y raconte comment combattre sans décider consciemment du coup à privilégier et comment les techniques ne sont que des outils au service d’un but unique : couper l’ennemi, peu importe les moyens.
Il évoque cette idée sous le nom de “Munen Muso”, que l’on pourrait traduire par “Sans désir et sans pensée”, qu’il applique plus largement au combat.
« La fixation est le chemin de la mort, la fluidité est le chemin de la vie. »
Miyamoto Musashi
L’artiste vagabond
Être fort. Serait-ce de rester en mouvement ?
Si Miyamoto Musashi faisait partie de la caste des samouraïs, il ne dédia jamais sa vie à servir un unique seigneur. Il passa de nombreuses années sur les routes du Japon. Il était un épéiste itinérant, un ronin.
De voyage en voyage, il méditait sur le sens profond de ce que vivre comme un guerrier signifie. Il était un véritable adepte de l’introspection (vous aussi, faites comme Musashi, le sabre en moins, et trouvez votre chemin, avec l’atelier d’introspection, pour passer à l’action - je n’en loupe pas une pour faire ma pub, mais toujours en poésie).
Je me suis souvent demandé comment il aurait vécu au XXIème siècle.
Un artiste martial est avant tout un artiste. Dans Tao of Jeet Kune Do, Bruce Lee nous enseigne que le sens des arts martiaux, c’est l’expression honnête de soi. Au fond, c’est cela être un artiste.
Musashi ne se limitait pas aux arts de la guerre. Il fut un calligraphe et un peintre reconnu. Il s’adonnait également à la sculpture et à l’art du jardin.
Une de ses œuvres m’a particulièrement marqué. Il s’agit d’une représentation de Hotei, l’une des sept divinités du bonheur dans la mythologie japonaise, regardant un combat de coqs.
Si l’art est l’expression honnête de soi, que pensait Musashi lorsqu’il fit couler cette encre ? Je n’ai pas trouvé d’interprétation dans mes recherches. Je vais donc vous partager la mienne.
Ce combat de coqs me fait penser aux egos que l’on engage dans un duel. Ces animaux semblent similaires, comme s’ils étaient le reflet l’un de l’autre. Hotei, qui observe la scène, paraît paisible, concentré. Ce prêtre zen est le dieu de la bonne fortune. C’est comme si cette œuvre laissait transparaître que la plénitude viendrait de l’engagement total de soi dans le combat de son propre ego. Musashi ayant dévoué sa vie à la voie de l’épée, cette peinture prend une tout autre dimension.
« La véritable science des arts martiaux consiste à les pratiquer de manière à ce qu'ils soient utiles à tout moment, et à les enseigner de manière à ce qu'ils soient utiles en toutes choses. »
Miyamoto Musashi
Le vide
Être fort. Serait-ce de comprendre le vide ?
À l’ouest de Kumamoto se trouve la grotte Reigandō. Vers la fin de sa vie, Musashi s’y retira pour méditer et écrire Go rin no sho (五輪書), qui se traduit comme Le livre des cinq anneaux, aussi connu sous le nom de Traité des cinq roues. La plupart des idées et citations de cet article en sont issues.
Cet ouvrage est constitué de cinq parties :
Le livre de la terre : ce premier chapitre introduit métaphoriquement la philosophie du guerrier et des arts martiaux.
Le livre de l’eau : Musashi y décrit les principes et techniques de base de son école Nito Ichi Ryu (son fameux style à deux sabres).
Le livre du feu : cette partie traite des tactiques à employer au cours d'un duel et sur le champ de bataille.
Le livre du vent : ce titre est un jeu de mot puisque le caractère japonais pour “vent” peut aussi signifier “style”. Miyamoto y critique les faiblesses d’autres écoles et de leurs styles de combat à l’épée.
Le livre du vide : dans ce court épilogue, il expose sa perception de la conscience et de l'état d'esprit à adopter.
Après tant de voyages, de méditations et de duels, la conclusion de l’œuvre de Musashi se porta ainsi sur le vide.
Selon ses dires, c’est en connaissant ce qui existe que l’on peut connaître ce qui n'existe pas : le vide. Il ajoute que c’est lorsque l’esprit est clair, lorsque les nuages de la confusion se dissipent, que l’on trouve le véritable vide.
C’est encore un élément de fascination pour moi. J’ai étudié une centaine de livres de développement personnel. À chaque nouvelle lecture, je note les leçons clés dans un tableau. Croyez-le ou non, mais ma phrase préférée qui y figure est la suivante : “Enlightenment is the space between your thoughts”, attribuée à Eckart Tolle.
Cette idée n’est pas nouvelle et nous vient du bouddhisme. Dans un autre registre, Dubussy (ou Mozart, ou les deux, ou d’autres sûrement) disai(en)t que la musique, c’est le silence entre les notes.
« Faites de l'Esprit réel la Voie ! Pratiquez largement la tactique ! Ne songez qu'à la justice, à la clarté et à la grandeur ! Faites du vide la Voie ! Et considérez la Voie comme "vide"! Dans le "Vide", il y a le bien et non le mal. L'intelligence est "être". Les principes sont "être". Les voies sont "être". Mais l'esprit est "Vide". »
Miyamoto Musashi
Le Dokkōdō
Être fort. Serait-ce alors d’être en mouvement dans le vide ?
En 1645, une semaine avant sa mort, Musashi réunit ses proches pour leur dire adieu et distribuer ses possessions. Il dédia à Terao Magonojō, son élève préféré, le premier Go rin no sho (Le livre des cinq anneaux), ainsi que le Dokkōdō.
Imaginez que vous sentez la mort approcher. Il ne vous reste plus que quelques jours pour transmettre quelque chose au monde. Que feriez-vous ?
Ce que fit Miyamoto Musashi, c’est d’écrire 21 principes sur un parchemin, le Dokkōdō. On pourrait le traduire par “Le chemin de la solitude”, “Le chemin pour aller seul” ou “La voie à suivre seul”.
Comme il conclua sa vie sur ces idées, je terminerai cet article en vous laissant méditer sur leur sens.
1. Acceptez les choses telles qu'elles sont.
2. Ne cherchez pas le plaisir pour le plaisir.
3. Ne dépendez en aucun cas d'un sentiment partial.
4. Pensez à vous-même avec légèreté et profondément au monde.
5. Soyez détaché du désir toute votre vie.
6. Ne regrettez pas ce que vous avez fait.
7. Ne soyez jamais jaloux.
8. Ne vous laissez jamais attrister par une séparation.
9. Le ressentiment et la plainte ne sont appropriés ni pour soi ni pour les autres.
10. Ne vous laissez pas guider par la luxure ou l'amour.
11. Soyez impartial en tout.
12. Soyez indifférent de l'endroit où vous vivez.
13. Ne recherchez pas le goût de la bonne nourriture.
14. Ne vous accrochez pas aux biens dont vous n'avez plus besoin.
15. Ne laissez pas de fausses croyances guider vos actes.
16. N’amassez pas d'armes et ne vous entraînez pas au-delà de ce qui est utile.
17. N'ayez pas peur de la mort.
18. Ne cherchez pas à posséder des biens ou des fiefs pour votre vieillesse.
19. Respectez Bouddha et les dieux, mais ne comptez pas sur leur aide.
20. Vous pouvez abandonner votre propre corps, mais vous devez préserver votre honneur.
21. Ne vous éloignez jamais de la Voie.
Miyamoto Musashi - Dokkōdō
Conclusion
Être fort. Je ne saurais dire ce que cela signifie vraiment.
Ces dernières années, j’ai entrepris un long voyage pour explorer ma curiosité, apprendre à me connaître et dépasser mes barrières mentales. J’ai découvert les concepts d’introspection, de stoïcisme, de flow, de skin in the game, d’extreme ownership ou encore de minimalisme. Ces idées ont grandement influencées ma manière de vivre.
En étudiant la vie de Musashi, je me suis rendu compte qu’il incarnait déjà tout cela, et plus encore. Lui n’avait pas internet ou une bibliothèque de livres de développement personnel accessible en un clic. Il a intégré ces principes en dédiant sa vie à la perfection de son art.
Si cet homme me fascine, c’est parce qu’il ne s’est jamais écarté du chemin. Il menait une vie ascétique. Il est le reflet de ce dont je ne suis pas capable.
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Vraiment excellent cette édition !
De la sagesse en barre. Je ne connaissais pas ce bon Miyamoto donc un grand merci pour la découverte.
Le dokkodo est fou surtout comme tu dis en ayant accès quasiment à aucune connaissance disponible.
Merciiiiii pour ce partage🙏🏼😍....à point nommé !