Se faire piquer par une fourmi balle de fusil
Challenge #26
Hola,
Ici Ulysse, en direct de Nosara, Costa Rica ! 🇨🇷
Samedi dernier, à Kéköldi, une réserve Bribri située de l’autre côté du pays, je me suis fait piquer par une fourmi.
Fourmi balle de fusil, fourmi 24 heures, Paraponera clavata… Si elle a bien des noms, c’est parce que sa piqûre est célèbre pour être la plus douloureuse du règne animal.
À quel point fait-elle mal ? Son nom vient de la comparaison avec un coup de fusil.
La trouille, n’est-ce pas ?
Dans cette newsletter, je vais revenir sur :
notre relation avec la peur et la douleur,
le pourquoi de ce challenge,
les 3 phases par lesquelles je suis passé.
Avant cela, place au spectacle :
Peur et douleur
Cette fourmi est plutôt populaire sur YouTube. Deux exemples :
La vidéo de Hamish & Andy cumule plus de 3 millions de vues.
Et celle de Brave Wilderness a dépassé les 55 millions de vues.
Nos réactions face à la douleur sont assez différentes.
Je reste assez calme, quand Peterson se roule par terre, et Hamish termine à l’hôpital sous morphine.
Suis-je plus courageux ?
Non, le courage n’a rien à voir là-dedans.
La douleur est un mécanisme de défense essentiel à notre survie. Elle nous informe qu'une partie de notre corps est endommagée ou qu'il y a un problème.
Chaque personne a une relation différente vis-à-vis de la douleur. Nous ne ressentons pas les mêmes sensations car nos corps sont différents.
Ce n’est pas tout, il en va de même pour nos esprits. Si vous êtes anxieux et/ou souvent angoissés, vous allez bien plus appréhender la piqûre. Il vous sera ensuite difficile de vous calmer.
Aujourd’hui, nous fuyons toute forme de douleur. De fait, nous ne sommes plus prêts à y faire face.
L’ironie du sort, c’est que la société dans laquelle nous évoluons est si anxiogène que le stress et les douleurs chroniques sont de plus en plus répandus. C’est d’autant plus vrai en ces périodes de Covid + sédentarisation extrême (coucou le confinement / couvre-feu).
Le mouvement, c’est la vie.
La douleur fait peur. La peur est utile. Elle prépare notre corps à faire face à un danger immédiat.
La seule peur qui n’est pas bonne, c’est la peur de la peur :
L’anxiété est une peur diffuse anticipée. Elle s’accompagne d’un sentiment d’insécurité et d’appréhension.
L’angoisse est un sentiment déstabilisant et intense. C’est une impression soudaine de perte de contrôle et d'imminence d’un danger grave.
L’anxiété et l'angoisse sont contre-productives.
Dans ce challenge, je n’ai pas cherché à fuir la douleur. Je l’ai accueillie. C’est parce que je suis bien dans mon corps et dans ma tête que j’ai surmonté cette épreuve sans perdre le contrôle.
À quel point suis-je zen ?
Selon Julia, je suis la personne la moins stressée de son entourage.
Un troisième élément vient se rajouter : la préparation mentale. Nous en reparlerons dans la troisième partie de la newsletter.
Pourquoi ce challenge ?
Quand j’ai annoncé autour de moi que je voulais me faire piquer par une fourmi balle de fusil, j’ai eu deux types de réactions :
Tu es fou !
Pourquoi tu veux t’infliger cela ?
Je connais cette fourmi depuis longtemps. Pendant le premier confinement, j’ai listé toutes les choses que je voulais expérimenter dans la vie.
On pouvait déjà y retrouver la ligne “Se faire piquer par une fourmi balle de fusil”.
Non, je ne suis pas masochiste. Je n’aime pas beaucoup les insectes, et encore moins les piqûres.
Jusqu’à récemment, je quittais la table si une guêpe tournait autour…
En écrivant cette newsletter, il y en a une qui est venue tourner autour de moi (no joke). Je lui ai jeté un regard et dans ma tête, il s’est passé cela :
Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu ne me fais plus peur. Tu picotes à peine à côté de la fourmi balle. Petite joueuse.
L’appréhension, c’est la crainte vague d’un danger futur.
La première raison de ce challenge, c’était d’abaisser mon seuil d’appréhension pour tous les futurs challenges qui m’attendent.
Je ne veux plus être anxieux. Je ne veux plus chercher à résister face à la peur. Je veux l’embrasser, et m’en servir pour relever des challenges toujours plus fous.
Cette piqûre, c’était mon rituel pour acter définitivement ce changement de mindset.
La deuxième raison, je l’évoque dans la vidéo : Ivan.
Après une story où je faisais parler des fourmis coupe-feuille (oui j’ai des délires parfois bizarres sur Instagram), Ivan m’a parlé de celles du genre Paraponera.
Je lui ai alors confessé :
Lorsqu’il m’a parlé de sa spondylarthrite ankylosante, je ne savais pas quoi répondre. Comment être empathique d’une situation à peine imaginable ?
J’ai alors réagi comme je le pouvais :
C’est évidemment une très mauvaise idée.
Je voulais faire un pas vers lui pour mieux comprendre son quotidien. J’ai alors pris rendez-vous avec la fameuse bullet ant.
J’ai pensé à lui pendant l’épreuve, et il m’a donné de la force.
Aujourd’hui, il a un message pour vous :
Comment gérer une douleur chronique quand le simple fait de se tenir assis ou allongé est douloureux ?
La réponse n’est pas si simple…
Une douleur physique, si elle dure et grandit avec le temps, peut vite se transformer en une souffrance psychologique.
Il faut être particulièrement à l’écoute de son corps et ne pas chercher à en faire trop. Le regard des autres est une pression supplémentaire à gérer.
Dans tous les cas, il faut apprendre à vivre avec la douleur. Ce handicap peut devenir une force, à condition de l’accepter, et de le mettre au service de ses ambitions.
Je ressens personnellement ce besoin de me prouver que le fait d’avoir ce problème n’est pas inéluctablement un frein à mes projets.
En voilà un message percutant ! Si Ivan se défonce pour réaliser ses rêves, alors nous n’avons aucune excuse pour ne pas poursuivre les nôtres !
Les 3 phases du challenge
Phase 1 : Appréhension & préparation
Quand j’ai demandé à Kasho s’il pouvait m’aider à trouver des fourmis balles de fusil, et qu’il m’a répondu :
Rdv à la jungle demain 6h
… l’appréhension est montée d’un coup.
Pour ne pas succomber à de l’anxiété inutile, j’ai commencé à me préparer mentalement.
Je n’ai pas cherché à trop me focaliser sur ce qu’il allait se passer, en continuant ma journée comme elle venait.
Lorsque j’y pensais, j’essayais de visualiser le moment, et de me voir me calmer malgré la douleur.
Le soir, pour m’endormir, j’ai pratiqué les techniques de respiration apprises lors du Challenge n°7 : Tenir 4 minutes en apnée.
Le lendemain matin, je me suis réveillé à 5 heures pétantes, calme, presque impatient, et prêt à en découdre.
Phase 2 : Courage
Une fois à Kéköldi, nous avons très vite trouvé les fourmis.
C’est en fait une réserve Bribri, et ils connaissent très bien l’arbre sous lequel le nid se trouve.
Kasho en a attrapé une, et j’ai eu l’impression que l’instant suivant, je l’entendais déjà me dire :
3
2
1
La moindre hésitation mènerait soit à un abandon, soit à beaucoup plus d’appréhension.
Dans le Challenge n°2 : Résumer 100 livres (la newsletter a bien évolué depuis…), j’ai exploré un livre appelé The 5 Second Rule de Mel Robbins.
L’idée est la suivante :
Si vous avez une impulsion pour agir vers un objectif, vous devez le faire physiquement dans les 5 secondes ou votre cerveau tuera l'idée.
Elle ajoute :
Un moment de courage peut changer une journée. Une journée peut changer une vie. Une vie peut changer le monde
Alors, j’ai tendu mon bras (pas le temps de niaiser).
On m’entend légèrement paniquer quand je vois que la fourmi est coincée dans mon bras, son dard étant particulièrement long.
Kasho l’a vite enlevée, et 3 secondes plus tard, la douleur est arrivée, fulgurante, pure.
Phase 3 : Mental
La douleur se stabilise assez vite vers 70 %. Pendant les 3 premières heures, il est particulièrement difficile d’en faire abstraction.
Passé ce temps, la douleur diminue plus significativement. Il est alors possible de porter son attention ailleurs.
Après 6 heures, la sensation n’est plus que désagréable. Cette gêne restera bien pendant 24 heures.
Comme dans toute épreuve d’endurance, c’est au mental que cela se joue.
J’ai réussi à rester en contrôle du début à la fin. Je pense que c’est grandement dû à mon côté relax.
Encore une fois, chaque personne vivant cette expérience en aura une interprétation différente.
Ce qui est certain en revanche, c’est que le pouvoir du mental est incroyable. Lors du Challenge n°12 : Tenir 5 minutes en gainage, j’avais commencé à entrevoir à quel point nous pouvons endurer plus que ce que nous imaginons.
Pour aller plus loin
Rite initiatique
Devinette : Qu’est-ce qui est pire que la piqûre d’une fourmi balle de fusil ?
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Plusieurs piqûres.
Certaines populations indigènes amazoniennes se servent de ces fourmis balle de fusil dans leur rite de passage pour les garçons (et parfois les filles), au moment de la puberté.
Ils confectionnent différents types de nattes de feuillage ou de joncs pour en faire des gants ou des plastrons. La suite en vidéo :
Pourquoi cette piqûre fait si mal ?
Justin O. Schmidt est un entomologiste américain. Prix Nobel 2015, il est le créateur de l'échelle de la douleur de Schmidt de la pénibilité des piqûres d'insectes.
Ayant été piqué par presque tous les types d'abeilles, de guêpes et de fourmis, il les a classés dans un index :
1,0 : les petites abeilles comme les Halictidae : douleur légère, éphémère.
1,2 : la fourmi de feu (Solenopsis invicta) : douleur aiguë, soudaine, légèrement alarmante.
1,8 : la fourmi d'acacia (Pseudomyrmex ferruginea), endémique de l'Acacia cornigera : douleur rare, perçante, élevée.
2,0 : l'abeille européenne
2,0 : Frelon : douleur riche.
2,0 : Guêpe Vespula : douleur chaude et fumante.
2,x : Abeille asiatique (Apis cerana), abeille africanisée et frelon européen.
3,0 : Fourmi rouge moissonneuse (Red harvester ant) : douleur grasse et persistante.
3,0 : Guêpe Polistes : douleur caustique et brûlante.
4,0 : Guêpe Synoeca : douleur comparable à de la torture.
4,0 : Guêpe Pepsis : douleur aveuglante, féroce, électrique.
4,0+ : Fourmi Paraponera, notamment la clavata (fourmi balle de fusil) : douleur pure, intense, brillante.
Voyons ce qu’il rajoute sur cette dernière :
pure, intense, brilliant pain...like walking over flaming charcoal with a three-inch nail embedded in your heel
Alors, pourquoi fait-elle si mal ?
La douleur provoquée par une piqûre d’insecte dépend de plusieurs facteurs comme sa taille (si ça compte), la quantité de venin qu’il injecte et les propriétés chimiques du cocktail.
Je vous passe les composants comme l’acide formique ou la solénopsine qui ne sont qu’une goutte dans l’océan de douleur provoqué par la fourmi 24 heures.
La toxine responsable du calvaire est la ponératoxine.
Si j’ai bien compris l’article Wikipedia, cette toxine est une petite protéine qui interfère avec la fonction des canaux d’ions sodium.
Notre corps bouge grâce à la capacité des cellules nerveuses à envoyer des signaux électriques d’un endroit à un autre.
On peut voir les canaux d’ions sodium comme des écluses, s’ouvrant et se fermant pour faire passer les signaux.
La ponératoxine vient forcer ces écluses à rester ouvertes, créant une prolongation du potentiel d’action.
Je sais, ce n’est pas encore clair. Je m’engage à ce que vous compreniez ce schéma.
Mais dis-moi Jamy, qu’est-ce donc qu’un potentiel d’action ?
Très bonne question !
C’est fou, dans une newsletter sur les fourmis on va comprendre comment fonctionne un influx nerveux. Popopow ! Accrochez-vous, c’est bientôt la fin.
La membrane d’une cellule nerveuse va délimiter son intérieur, du milieu extérieur.
De part et d’autre de l’écluse, on retrouve des ions sodiums (Na+) et des ions potassiums (K+).
Au repos, les ions sodiums sont majoritairement situés à l’extérieur, et les ions potassiums à l’intérieur (le cytoplasme). Ce déséquilibre est maintenu grâce à la pompe sodium/potassium (qui permet des échanges dans les deux sens).
Au repos, l’intérieur du neurone est chargé plus négativement que le milieu extracellulaire. Ce potentiel de repos est égal à -70mV (pour millivolts). On dit que le neurone est polarisé.
Phase 1 : Excitation
Pour qu’un neurone relaie un message nerveux à travers l’axone (qui connecte les neurones entre eux), il faut qu’il soit excité au-delà d’un certain seuil (−55 mV en général).
Phase 2 : Dépolarisation
Lorsque la membrane du neurone est déstabilisée, les portes des canaux s’ouvrent. L’écluse à sodium (Na+) est la plus rapide à s’ouvrir, entraînant une arrivée massive d’ions Na+ à l’intérieur du neurone.
Dans Na+, il y a +. Tous ces + qui arrivent dans le neurone vont le rendre moins négatif.
Phase 3 : Repolarisation
Pendant que les portes à Na+ se ferment, les canaux à K+ s’ouvrent à leur tour. Les ions potassiums sortent alors du neurone.
Phase 4 : Hyperpolarisation
Les canaux à potassium restent ouverts plus longtemps que nécessaires (c’est quoi ce travail mal fait…). Beaucoup de K+ sortiront, ce qui diminuera le potentiel intracellulaire au-delà des -70mV de repos.
Phase 5 : Période réfractaire
Heureusement, la nature est bien faite. La pompe Na+/K+, permettant des échanges dans les deux sens (un peu comme un sas de décompression), va venir rétablir l’équilibre en faisant passer dans chaque sens juste ce qu’il faut.
Le signal électrique passe ainsi à travers l’axone, jusqu’au prochain neurone, et ainsi de suite jusqu’à vos muscles.
La ponératoxine empêche les canaux d’ions sodium de se refermer, entraînant l’ouverture de l’autoroute du kiff pour les signaux nerveux responsables de la douleur.
Est-ce que le premier schéma est plus clair maintenant ?
MaJ du 19/04/2021 :
TED-Ed vient de sortir une super vidéo pédagogique sur le sujet :
J’espère vous en avoir appris un peu plus sur les mécanismes de la peur et de la douleur.
N’oubliez pas que si vos rêves ne vous font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands !
À très vite, pour un nouveau challenge,
Ulysse
Le saviez-vous ?
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